Dans cet article j'aimerais vous partager quelques tips pour se faciliter la vie quand on fait du continuous discovery et qu'on est amené à parler de plus en plus souvent aux utilisateurs.
Note : ces conseils sont axés B2B, ils peuvent ne pas s'appliquer dans un autre contexte.
Tip 1 : N'oubliez pas de parler aux profils particuliers
Il y a des profils d'utilisateurs qu'on a tendance à naturellement éviter, soit parce qu'on ne pense pas à eux, soit parce qu'on a peur de leur parler, soit parce qu'on pense qu'ils ne vont rien nous apporter.
Pourtant, on ne gagne rien à ignorer une partie du paysage, c'est pour ça que j'ai commencé à me forcer à aller à leur rencontre.
Les super fans
Les super fans sont une catégorie d'utilisateurs qui aiment tellement le produit qu'ils vont en parler à tout le monde.
Pourquoi sont-ils particulièrement intéressants ?
Ce type d'utilisateur ne sera pas plus utile que les autres pour vous aider à évaluer des features. Non, ce qui rend les super fans si précieux, c'est qu'ils sont un super moteur de croissance : ils vont vous permettre de comprendre comment on devient super fan de votre produit !
Quelles ont été leurs premières impressions ? A quel moment ont-ils commencé à aimer votre produit au point d'en devenir des champions ? Qu'est ce qui a renforcé ou renouvelé leur amour du produit ?
Grâce à ces informations, vous pourrez trouver des axes pour agir notamment sur l'onboarding, le fameux aha! moment, et la rétention en général, pour transformer plus d'utilisateurs en super fans, plus rapidement.
Aussi, ces super fans seront plus facilement enclins à être interviewés, à être impliqués, à participer à des tests UX, à des clubs utilisateurs ou à des opérations de communication. N'hésitez donc pas à partager vos super fans avec vos collègues du produit et du marketing!
Où peut-on les trouver ?
On peut commencer par les trouver sur les réseaux ou en parlant aux Customer Success Managers. Certains super fans sont très vocaux, donc assez facile à reconnaître.
Je vous recommande aussi d'étudier dans la data le comportement et l'usage de vos super fans et de trouver leurs marqueurs propres. Ensuite, si vous trouvez d'autres utilisateurs ayant les mêmes marqueurs, contactez-les pour voir s'ils sont aussi des super fans, et affinez votre profilage.
Les super haters
A l'opposé du spectre, on a les super haters. Ceux qui sont véritablement en colère contre notre produit.
Pourquoi sont-ils particulièrement intéressants ?
Quelqu'un qui n'aime simplement pas le produit va être indifférent. La colère c'est une manifestation de la frustration : soit parce que l'utilisateur est captif et que certaines choses l'irritent dans votre produit, soit parce qu'il voudrait aimer le produit mais que certaines choses l'en empêchent.
Dans le cas d'utilisateurs captifs, par exemple quand les licences sont achetées au niveau de l'entreprise ou du groupe, si vous avez un grand nombre d'utilisateurs bruyamment mécontents du produit, prêts à faire du lobbying pour vous sortir de l'entreprise, vous êtes en risque. Donc comprendre ce qui les irrite pour essayer de calmer les esprits et de les faire passer de la colère à l'indifférence est une bonne stratégie.
Encore plus intéressant : si l'utilisateur en colère n'est pas captif, il va finir par partir. Mais en essayant de comprendre les sources de sa frustration on peut lever des opportunités qui peuvent faire passer cette catégorie d'utilisateurs de détracteurs à promoteurs.
Où peut-on les trouver ?
Allez parler à vos CSM, ils se feront un plaisir de vous donner la liste. Vous pouvez aussi contacter tous ceux qui mettent 0 à vos NPS et qui laissent un commentaire. S'ils ont l'énergie de vous montrer qu'ils sont mécontents, c'est qu'ils prennent encore le problème à cœur.
Les collègues
On a tendance à les mettre de côté, mais parmi les utilisateurs de votre produit, il y a certains de vos collègues : les Sales qui vont faire des démos et des présentations du produit, le Support et l'Intégration qui doivent pouvoir intervenir sur des comptes clients..
Pourquoi sont-ils particulièrement intéressants ?
Attention : ici le but ce n'est pas de leur demander quelles features il manque à l'application pour les autres utilisateurs. L'objectif c'est de comprendre comment EUX interagissent avec le produit, de les prendre en compte comme des utilisateurs.
Assistez à une démo Sales et observez : qu'est ce qui plaît particulièrement ? Qu'est ce qui fait l'effet "wow" ? Sur quoi les Sales ont l'habitude de passer discrètement ?
Parfois des petites mises à jour sur votre produit peuvent avoir un impact très positif sur les ventes, ça serait dommage de passer à côté.
C'est la même démarche pour le support ou les intégrateurs : est ce que vous pouvez faire quelque chose dans votre périmètre pour rendre leurs tâches plus faciles, plus rapides ?
Où peut-on les trouver ?
Rapprochez vous des leads de leurs équipes pour expliquer votre démarche. Quand vous avez des créneaux dans la semaine, n'hésitez pas à aller assister à une démo commerciale ou à un call de suivi CSM.
Tip 2 : Utilisez la boussole du langage

La boussole du langage c'est un truc qu'on m'a fait découvrir quand je commençais dans le conseil. C'est un moyen d'obtenir des réponses plus précises et plus détaillées (retrouver le nord grâce à la boussole, donc).
Ça demande un peu d'entraînement pour s'en servir efficacement, mais le principe est simple : il y a 5 catégories de mots ou expressions "déclencheurs" que vous devez apprendre à repérer, et des questions associées qui permettent de faire préciser l'information.
Faits imprécis
On ne sait pas à l'avance quelle information sera importante, c'est pourquoi il faut adopter une attitude inquisitrice lors de nos interviews. On ne cherche pas des témoignages génériques, mais plutôt des informations précises.
Donc il faut prendre l'habitude de creuser pour obtenir les détails :
- "Ils sont plusieurs à s'en charger" -> Qui ?
- "C'est compliqué à faire" -> Possible de détailler le processus ?
- "On a beaucoup de trafic" -> Combien ?
Attention avec la question "pourquoi ?" qui peut être interprétée comme une question sur les motivations, ou sur les causes, ou encore comme un jugement.
Pour de meilleurs résultats, utilisez des questions plus précises comme "dans quel but ?", "qu'est ce qui a fait que ?", etc..
Généralisations
J'aime bien les généralisations parce qu'elles sont faciles à repérer, et que souvent elles cachent des marqueurs des trois catégories suivantes : la règle, le jugement ou la supposition. Donc vous pouvez clarifier la généralisation puis clarifier la suite.
Les mots clés à repérer sont "toujours / jamais", "tous / aucun", "on / les gens", etc. Pour clarifier, on peut reprendre la généralisation et rentrer dans le détail.
- "Tout le monde a besoin de cette fonctionnalité" -> Tout le monde ? Qui particulièrement ?
- "Il est toujours en retard" -> Toujours ? Il a été en retard combien de fois cette semaine ?
- "Ça ne marche jamais !" -> Jamais ? Parlez moi de la dernière fois où ça n'a pas marché
Règles et normes
C'est intéressant de clarifier les règles pour deux raisons : soit la règle existe réellement et il est important de la matérialiser, soit la règle n'existe pas et la personne se limite elle-même.
Les règles et normes se repèrent au langage utilisé "il faut", "on doit", "normalement", "c'est impossible"... Pour clarifier les règles, il faut en chercher les contours :
- "On doit suivre le processus" -> Qu'est ce qu'il se passe si on ne le suit pas ? Qui vérifie ? Est ce qu'il y a eu un cas où vous n'avez pas pu ou voulu suivre le processus ?
- "Je ne peux pas l'envoyer sans validation" -> Qu'est ce qui vous en empêche ? Qu'est ce que vous risquez ?
Jugements
Le jugement est un raccourci que prend la personne pour décrire quelque chose en suivant ses valeurs et sa mécanique interne. Sans connaître ni ces valeurs ni cette mécanique, le jugement ne vous apporte rien. C'est pour ça qu'il faut le clarifier.
Un jugement se repère parce qu'il y a une évaluation présentée comme un fait : "c'est bien / mal", "je suis / il est", "c'est normal / inacceptable / important"..
Pour clarifier, on va essayer de remonter aux causes pour comprendre la mécanique du jugement :
- "Il est mauvais" -> Qu'est ce qu'il a fait exactement ?
- "C'est trop cher" -> Cher par rapport à quoi ? Sur quels critères vous reposez-vous ?
- "J'ai beaucoup aimé votre nouvelle feature" -> Qu'est ce qui vous a plu ? Comment faisiez-vous avant ?
Suppositions
La supposition est aussi le résultat d'une mécanique interne, mais qui repose sur la logique plutôt que sur les valeurs.
Il y a moins de marqueurs faciles à repérer pour les suppositions, c'est plus quelque chose que vous allez entendre dans la conversation : c'est un saut de logique que vous n'avez pas suivi, une assomption ou hypothèse départ que vous ne connaissez pas… Le but de la clarification va être de retrouver toutes les pièces du puzzle :
- -> En quoi X entraîne Y ?
- -> Comment savez vous que ?
- -> Sur quoi vous basez vous pour dire que ?
Tip 3 : Généralisez les comptes rendus d'interview
Vous n'êtes pas le seul dans votre entreprise à faire des interviews utilisateurs. Et c'est très possible qu'il se dise quelque chose dans ces autres interviews qui pourraient vous intéresser et vous donner envie de creuser.
C'est pour ça que je trouve qu'un système de partage de CR d'interviews facilite la vie et permet vraiment d'améliorer et d'accélérer votre continuous discovery.
Le contenu d'un compte rendu

Les comptes rendus doivent être simples et rapides à écrire. On peut se baser sur l'interview snapshot de Teresa Torres.
Le CR doit au moins contenir :
- La "carte d'identité" de l'interviewé : les différentes caractéristiques qui permettent de situer l'utilisateur dans les segments, pour aider à retrouver les interviews.
- Un résumé rapide qui explique en quelques points ce qu'on cherchait à savoir et ce qu'on a appris.
- Une liste d'idées ou d'opportunités qu'on a levées lors de cette interview.
- Les liens vers : la recherche associée, l'analyse complète et la source de l'interview, la fiche de l'utilisateur etc..
Vous pouvez aussi y ajouter :
- Une sorte de rapport d'étonnement, où vous listez ce qui vous a surpris. C'est toujours utile de mettre en avant ce qui est nouveau.
- Un système de tags, pour aider à retrouver les interviews.
- Des verbatims, pour marquer les esprits ou pour servir de témoignages
Comment partager et retrouver les CR
Je vois beaucoup d'organisations qui mettent leurs CR dans des slides ou des boards Miro ou Figma. C'est bien, c'est joli, mais c'est impossible de les retrouver grâce à un moteur de recherche quelconque.
Donc je recommande de mettre ça dans un outil centralisé comme Notion, en suivant un template.
Et pour s'assurer que vos collègues soient au courant du partage, je recommande aussi d'avoir un canal Slack (ou Teams) dans lequel vous postez tous vos nouveaux CR, en suivant là aussi un template de message. Vous pouvez même utiliser Zapier ou équivalent pour automatiser le feed.
Du coup, quand vous voyez un message dans le feed slack qui vous intéresse, vous pouvez aller lire le CR, et si vous voulez en savoir plus, vous avez accès à la source, aux interviewers et à l'interviewé.
Tip 4 : Entraînez vous grâce aux revues d'interview
Cette pratique je la tire de mes années côté tech en reprenant le concept des revues de code.
En bref : la revue de code sert à s'entraîner à reconnaître du mauvais code et du bon code pour progressivement s'améliorer. Il y a deux types de revues : la revue croisée et la revue formelle (vous pouvez en savoir plus en lisant mon article sur les revues de code). Ici on va en reprendre les principes, mais dans le but de devenir des meilleurs interviewers.
Le bon interviewer et le mauvais interviewer

C'est l'erreur n°1 que les gens commettent quand ils instaurent des revues : ne pas se mettre d'accord avant sur ce qui est bien et ce qui ne l'est pas, sur un standard.
Sans standard, vous allez montrer votre livrable à deux personnes et avoir deux avis différents. Ce n'est pas comme ça qu'on progresse efficacement.
A première vue, constituer ce standard qui regroupe tout ce qu'il faut faire et ne pas faire lors d'une interview, ça a l'air compliqué.
Heureusement pour vous, j'ai la méthode simple et éprouvée :
- Formez un groupe avec tous ceux qui font des interviews utilisateurs
- Partez avec un document Standard vide
- Si au cours d'une revue vous voyez un détail qui n'est pas "bien"
- Si ce détail n'est pas couvert par le Standard, déclenchez une discussion sur le sujet avec le groupe et ajoutez le résultat de la discussion dans le document.
- Si ce détail est couvert par le Standard, faites le retour à l'interviewer en pointant la règle.
- Devenez meilleur tous ensemble
La revue croisée
Même avec de l'expérience, on se met régulièrement les pieds dans le tapis, par exemple en posant une question chargée, en ignorant un signal dans la réponse de l'utilisateur indiquant qu'il faut creuser, ou encore pour une centaine de raisons. Le meilleur moyen de passer ces caps, c'est que quelqu'un nous montre quand on fait un écart.
Vous pouvez donc faire une revue rapide après chaque interview : il suffit d'y aller à deux, un qui parle et un qui écoute. Celui qui écoute doit aussi écouter celui qui parle et noter ses remarques pour en discuter ensuite. Comme vous faites souvent des interviews, vous avez autant d'occasions de vous améliorer !
Attention à ne pas tomber dans la critique : le but ce n'est pas de rabaisser le reviewé, mais bien qu'on progresse tous ensemble. Donc présentez les retours comme des écarts au standard. Et bien sûr, si un point entraîne un débat, présentez le au groupe pour amender le standard.
La revue formelle
La revue formelle est un bon outil pour les leads (Lead UXR, Lead UX ou Lead PM) : on va utiliser des exemples tirés de la vie réelle, des interviews qui ont eu lieu donc, pour illustrer, débattre et finalement se former sur un point du standard.
Cette revue est déclenchée et préparée par le lead qui choisira un thème, une ou plusieurs interviews et la liste des éléments à étudier dans ces interviews. Suivant la taille et l'importance du sujet, une revue formelle peut prendre une à plusieurs heures.
Le format de revue formelle que j'utilise commence par une présentation du sujet : le thème, ce qui est OK et ce qui est KO. Ensuite je diffuse mes extraits, chacun prend des notes de son côté. Après on discute : je m'assure que tout le monde a vu ce qu'il fallait voir, ce qu'il aurait fallu dire ou faire. Enfin, on conclut en repassant sur le document du standard pour valider ou reformuler la règle, et augmenter notre compréhension commune.
Bonus : Faites vous aider par vos utilisateurs
Quand on fait du continuous discovery, le recrutement est souvent un goulot d'étranglement. Comment trouver les utilisateurs à qui parler ? Et surtout comment faire en sorte qu'ils acceptent de nous parler ?
Pour ça j'ai un tip qui a des résultats plutôt positifs. J'utilise une technique qui nous vient des Sales, qui font aussi beaucoup de discovery quand ils vendent aux grands comptes et que j'ai découvert dans le livre "Predictable Revenue" par Ross & Tyler : le spearheading.
Le principe du spearheading est qu'un utilisateur va plus facilement accepter de nous parler si on vient avec la recommandation d'un de ses collègues ou supérieurs.
La version du livre est un peu culottée :
- On contacte un Exécutif (C-level, VP, Head of ..) en lui demandant "qui s'occupe de X ?"
- Ensuite on contacte la personne en charge en disant "M Exécutif m'a dit de vous parlez de X".
Vu qu'il y a une intro d'un chef, la personne contactée sera plus encline à répondre, sans se questionner.
En tant que PM B2B on a deux autres voies pour utiliser ce système de recommandations avec lesquelles je me sens plus à l'aise : en passant par les admins et en s'appuyant sur les utilisateurs qu'on a interviewés.
Si vous vendez votre produit à des grands comptes, alors vous aurez une catégorie d'utilisateurs qui ne sont pas des opérationnels, mais des admins. Ce sont des contacts privilégiés, ils vont répondre plus facilement.
Donc on peut leur demander "à qui je peux parler de X dans votre organisation ?" ou "qui est l'expert ou le champion de X chez vous ?". Et ensuite on contacte les personnes en disant "M Admin m'a dit de vous parler de X".
Encore plus intéressant : quand vous interviewez un utilisateur, c'est une bonne idée de finir par leur demander "à qui je peux parler de X parmi vos collègues ?" ou "qui parmi vos collègues sera le plus intéressé par X ?". Ensuite vous pouvez les contacter suivant la même technique, ou encore mieux demander à votre interviewé de faire la connexion.
En systématisant ces pratiques, vous allez vite pouvoir avoir accès à un grand nombre d'utilisateurs chez chacun de vos clients, vous donnant suffisamment d'opportunités d'interviews pour alimenter votre continuous discovery.