Le métier de scrum master à plein temps est toujours en pleine évolution. Ce qui est une façon polie de dire qu’en fait, tout est très flou. Si vous observez les entreprises qui embauchent des scrum masters à plein temps, vous verrez que peu d’entre eux ont les mêmes responsabilités.
C’est du coup d’autant plus intéressant de les aligner et de réussir au mieux à les faire travailler ensemble. Mais pour ça il faut adapter sa façon de manager à ce rôle si particulier.
Le rôle du scrum master
On peut lire sur toutes les plaquettes publicitaires que le rôle du scrum master c’est de faire en sorte que l’équipe respecte Scrum. Ce qui n’a d’intérêt que si votre objectif est d’avoir des équipes certifiées conformes à Scrum.
Si votre objectif est d’avoir des équipes qui réussissent leurs projets, alors le rôle du scrum master doit être de faire progresser son équipe pour les aider à réussir.
Ma vision du rôle du scrum master tient en deux définitions :
- Le scrum master doit améliorer à la fois la performance et les conditions de travail de l’équipe.
- Performance = potentiel - interférences.
(Inspirations : “Coacher des managers” - Antoine Contal et “The inner game of tennis” - Timothy Gallway)
Donc le scrum master doit aider l’équipe sur ces trois axes : conditions de travail, potentiel et interférences. Ses deux outils principaux sont le coaching pour la dynamique d’équipe et l’amélioration continue pour tout le reste.
Les pièges à éviter
Le flou général autour de ce rôle, surtout quand il est à plein temps et sur la durée, laisse la place à quelque dérives contre-productives.
Le scrum master chef de projet
On voit ce genre de scrum master dans les entreprises qui ont effectué une transition agile uniquement au niveau des équipes.
La division entre la direction produit et la direction technique est franche et remonte au plus haut. Le product owner reprend les rennes du projet, le manager côté technique sent qu’il perd le contrôle, alors il utilise le scrum master comme une béquille, un chef de projet qui fera du reporting, assistera aux copils et à qui on mettra la pression pour que l’équipe respecte les engagements.
Je vais vous faire gagner du temps et du turnover : ne les appelez pas scrum masters mais delivery managers ou chefs de projet techniques. Vous attirerez les bons profils et éviterez les divergences d’opinions sur la direction de l’équipe.
Accélérer plutôt que de faire aller vite
Je tiens cette formulation d’un autre coach, Jonathan Scher, et je trouve qu’elle encapsule parfaitement le chausse trappe dans lequel tombent beaucoup de scrum masters débutants.
Quand l’équipe rencontre un problème, si le scrum master s’en occupe, l’équipe ira plus vite. Mais si le scrum master aide l’équipe à régler le problème, alors l’équipe va accélérer.
Le rôle du scrum master c’est de faire progresser l’équipe, donc c’est important que chaque tâche qu’il entreprend aille dans ce sens.
Par exemple, plutôt que de faire le reporting de l’équipe et donc de leur faire gagner un peu de temps sans les faire progresser, c’est mieux de leur apprendre à automatiser les rapports. Le temps est gagné quand même mais l’équipe s’est améliorée.
La peur du temps libre
Par définition, le scrum master est quelqu’un qui a suffisamment de temps pour prendre du recul, lever le nez du guidon des objectifs projets, et observer la façon de faire autant que ce qui est fait.
Donc un scrum master qui est débordé, qui n’a aucun moment à lui, c’est un signal d’alarme.
En général, c’est la peur du temps libre qui remplit l’agenda du scrum master. Soit de lui même, pour ne pas sembler oisif, soit par un manager qui ne veut pas payer quelqu’un qui n’est pas à 100% occupé.
Un scrum master qui est occupé à 100% n’aura pas de temps pour observer, ni pour se consacrer à l’amélioration continue de l’équipe, son objectif principal.
Pourquoi manager des scrum masters ?
Comme le rôle de manager-superviseur qui assigne les tâches et optimise les affectations de chacun disparaît quand on s’organise en feature teams et de manière agile, on a, à tort, l’impression qu’on n’a plus besoin de managers de proximité.
On observe particulièrement ce phénomène chez les coach et scrum masters : appelés commes experts, souvent consultants externes, les scrum masters sont généralement seuls dans leur tâche, à porter l’effort d’agilité pour l’équipe. Un peu paradoxal, comme des cowboys solitaires qui aident les autres à travailler ensemble, mais qui sont eux même peu habitués à travailler en groupe.
De la même manière qu’il n’existe pas une seule façon de réussir les projets, on observera aussi que chaque scrum master a sa façon propre d’atteindre ses objectifs.
Un manager qui parviendra à aligner et faire collaborer tous les scrum masters, à mettre en place une démarche d’expérimentation et de partage, sans jamais leur imposer une façon de faire saura tirer un maximum de valeur de ce rôle.
Manager comme j’aimerais être managé
C’est là qu’on rentre dans la théorie. Voilà comment j’organiserais mes premiers six mois afin de trouver un rythme de croisière avec l’équipe de scrum masters.
En plus des entretiens individuels réguliers, outil indispensable de tout manager, je souhaiterais mettre en place une structure qui me permettrait de les aligner sur les objectifs de l’entreprise, de les aider à partager et à collaborer, tout en leur laissant la liberté d’expérimenter et de choisir leurs propres outils et pratiques.
Aligner
Je souhaite encourager les scrum masters à être de vrais moteurs pour l’amélioration continue de leurs équipes et plus largement de l’entreprise.
Pour ça je commencerais par mettre en place une réunion bi-mensuelle, à chaque fin de sprint, où chacun devrait répondre aux questions suivantes : “Qu’est ce que vous avez essayé et qu’est ce que vous avez appris ?”. L’idée est de mettre en avant l’importance d’aller au bout de leurs expérimentations, sprints après sprints.
Partager
J’organiserais aussi une autre réunion, toutes les deux semaines, au milieu des sprints, dont l’objet serait le partage. Des présentations sur des outils ou des pratiques, des discussions ou des sessions d’entraide et de coaching de groupe. L’idée est que chacun puisse apprendre des autres.
Un wiki serait monté pour accueillir les apprentissages de toutes ces réunions, afin de constituer une base de connaissance et un standard pour aider les nouveaux arrivants et le reste des équipes.
Collaborer
Tout l’intérêt du manager de scrum masters, c’est de réussir à les faire collaborer efficacement entre eux. Pour ça il faut leur apprendre à compter les uns sur les autres et à travailler ensemble sur des projets de plus en plus ambitieux.
Dans un premier temps, je m’assurerais que chacun connait les spécialités des autres. Qu’on sache si un des scrum masters est passionné par la résolution de conflits et la communication non violente, ou par les tests et la qualité, ou par le produit etc. Afin qu’on puisse le contacter si on a besoin d’aide.
Au bout de trois mois, je commencerais à faire travailler des scrum masters en paire, pour essayer de s’occuper de réduire les dépendances entre leurs équipes respectives.
Au bout de six mois, on devrait pouvoir commencer à travailler en groupe sur des sujets transverses et des projets communs.
Le conseil pour la fin
De plus en plus d'entreprises choisissent d'effectuer leur transition digitale en s'appuyant sur de l'agile à l'échelle et des scrum masters dans chaque équipe, donc on va voir émerger des configurations toujours plus performantes et plus intéressantes.
Je pense que les entreprises qui auront compris comment aligner et faire collaborer efficacement leurs leaders agiles se détacheront très vite du lot. Ce ne sera pas la nouvelle technique ou méthode de l'année que toutes les SSII vont vendre, mais je pense que ce focus aura un grand impact sur les années à venir.
Mon conseil : observez de près ces entreprises.
Bonus : l’état d’esprit du scrum master
Au delà du Scrum, des outils et des pratiques, être un scrum master c'est avant tout un mental, une façon différente de voir les choses.
Dans son article sur le leader agile, Henrik Kniberg a formulé d’une manière claire ce que j’appellerais le mantra du scrum master :
Qu’est ce qui devrait être en train de se passer mais ne l’est pas ? Qu’est ce que je peux faire pour que ça se passe, sans jamais devenir un goulot d’étranglement ?
Ça veut dire qu’en tant que scrum master (et aussi coach agile), on doit apprendre trois choses fondamentales :
Comment observer le système ? Prendre du recul, lever le nez du guidon, et voir les manques et les opportunités.
Comment emmener l’équipe ? Créer un contexte dans lequel l’équipe réagit aux manques ou aux opportunités.
Comment éviter d’être sur le chemin critique ? Aider l'équipe à pérenniser leurs améliorations, et s'assurer que tout continue de fonctionner une fois qu'on est parti
En travaillant votre propre amélioration continue suivant ces trois axes, vous pourrez devenir un véritable scrum master MASTER.